Le mystère du désir…

par | 14 Juin 2004

Le-mystère-du-desir

Sérieusement.

« Justine se sentait heureuse, elle aimait tellement marcher et dépenser son corps en montagne. Cela la rendait physique, elle pensait moins, elle savourait le moment. Elle jeta un regard sur Léopold juché sur le rocher. Depuis là où elle était en contrebas, elle voyait ses chaussures d’aventurier, son pantalon kaki qui laissait deviner le galbe de ses cuisses puissantes, elle soupira. Elle voyait son torse qui dépassait de la chemise, un torse de corsaire, ouvert à tous vents. Et le regard bleu qu’il avait sur le Jungfraujoch était perçant et magnifique ; elle se dit, amusée, qu’il pourrait faire fondre même le glacier. Elle savait que c’était lui qu’elle désirait, elle lui dirait oui, qu’il lui demande seulement ce qu’il veut, elle se donnerait comme elle ne s’était jamais encore offerte. »

« Léopold se sentait fort et en forme. Transpirant légèrement, il sentait la brise caresser ses cheveux. Il appréciait Justine, il l’avait regardée gravir le dernier raide et il avait pu deviner ses formes généreuses et sa vitalité. Il avait même imaginé la surprendre ici, en pleine montagne, qu’il la prendrait dans ses bras et qu’il la soulèverait en un baiser fougueux et profond. Il sentait déjà de l’excitation rien qu’en s’imaginant la déshabiller lentement. Il pensait qu’elle céderait et qu’il pourrait la conquérir comme son dernier quatre mille du mois passé. »

Dans sa version officielle, le désir est une  » tendance consciente et suscitée par quelqu’un aux plaisirs sexuels ; ses manifestations physiques « . Mais n’est-il pas parfois aussi une ribambelle d’autres choses ? Appétit, attente, attirance, attrait, besoin, but, caprice, concupiscence, convoitise, cupidité, curiosité, demande, démangeaison, desiderata, dessein, envie, espérance, espoir, exigence, faim, fantaisie, force, goût, inclination, intention, intérêt, libido, passion, penchant, prétention, rêve, soif, souhait, tendance, tentation, velléité, visée, vœu, volonté, vouloir…

Son contraire serait le dédain, l’indifférence, le mépris, la répulsion.

Dans sa version clinique, le désir est un phénomène mental. Il utilise donc l’imagination, la mémoire et l’anticipation. Sa contrepartie physique s’appelle l’excitation. Nous pouvons observer que sa source est en nous, même si son déclencheur se situe vraisemblablement à l’extérieur de nous. Il nous habite dans différentes circonstances et moments : comme à l’adolescence où l’on rêve du noble charmant, des fois sans même connaître son sujet ; puis en présence physique d’un partenaire qui nous attire et dans l’approche et les préludes précédant le coït ; enfin, dans le rapport sexuel lui-même.

Ses manifestations sont personnelles, variées et différentes d’un sujet à l’autre. Mais certains hommes peuvent se retrouver facilement dans le vécu d’autres hommes. Cela est vrai pour des femmes aussi. Il y a une influence possible du conditionnement culturel, personnel et sexuel.

On peut penser qu’il est utile et nécessaire au rapprochement des êtres. Sans lui, y aurait-il couples, enfants, histoires et chansons ? Son intensité peut devenir si grande qu’on dit qu’il déplacerait des montagnes, qu’il nous ferait aller jusqu’au bout du monde.

1. Première étape : la présence érotique

Prenons la première phase. Le climat érotique d’une personne n’est en général étudié par aucune station météorologique, ni par l’individu lui-même. La question semble, néanmoins, importante :  » Comment la sexualité colore-t-elle ma vie intérieure ces jours ? Comment m’habite-t-elle ? Ai-je une relation intime ou distante avec elle ?  » Certains auteurs parlent de  » température  » sexuelle. Certains, en général les hommes, ont une température élevée, grâce à ce qu’ils entretiennent avec leur imaginaire. Les femmes auraient une température basse. Climat, température, disponibilité érotique, avant même le contact ou le rapport sexuel. Nous pouvons reconnaître que nous sommes parfois habités par une résonance sexuelle, une réceptivité ou une sensibilité particulière à la sexualité, et cela tout le temps ou cycliquement. Son aspect diffus, non défini, sans objet, fait que pour certains, c’est inconscient, voire inintéressant. Cela peut être perçu comme un manque de l’autre ou de sexualité, au même titre que cela peut être vécu comme quelque chose de très agréable.

Donnons quelques exemples qui illustrent cette disponibilité érotique.

Durant la grossesse, certaines femmes racontent qu’elles sont sexuelles à fleur de peau et qu’elles perçoivent un désir de leur cellules comme une douce rumeur, un  » chatoiement des molécules « . Elles développent une sensualité charnelle exquise, qu’elles soient seules ou avec leur homme. La maternité opère comme une ouverture à leur féminité. Ce qui fait qu’elles se sentent sexuellement plus femmes.

Je me rappelle un séjour à Mexico City, en visite chez un lointain cousin. Nous nous promenions en voiture et à chaque jeune et jolie femme aperçue, repérée plus exactement, dans la rue ou à un carrefour, il donnait deux ou trois petits coups de klaxon. Au début, je croyais que c’était pour les faire se retourner, les courtiser. Je m’imagine aujourd’hui que c’était en fait une manière de signaler son enthousiasme sexuel, la reconnaissance de sa propre vitalité sexuelle. Car aucune de ces femmes ne se retournait bien sûr et mon cousin ne le vérifiait même pas, il était déjà en train de repérer la suivante. Dans la ville la plus peuplée du monde, ces pauvres femmes auraient un torticolis si elles se retournaient à chaque  » appel « !

Une femme racontait combien elle appréciait ces moments de contact avec son mari, que ce soit sur le canapé ou dans le lit, où elle ne faisait rien (lui non plus), n’avait nulle part où aller, n’avait rien à faire, si ce n’est de simplement se relaxer avec lui. De ne rien faire – ensemble – et de lâcher prise dans une présence douce et amoureuse, de laisser fondre les tensions et les défenses, lui permettait de sentir une sorte d’éveil sexuel, une envie de se donner…

Beaucoup d’hommes décrivent combien les images de femmes dans leur tête, dans les magazines, sur les placards publicitaires ou dans la rue, entretiennent chez eux une tension érotique. Leur regard et leur pensée sont attirés automatiquement, comme s’ils avaient un radar fonctionnant 24h sur 24h.  » Je conduisais ma voiture, à un moment je me suis retourné, je ne savais même pas pourquoi, et j’ai vu cette splendide blonde qui se déhanchait… J’ai senti mes yeux sortir de l’orbite et j’ai failli provoquer un accident…  »

Une amie racontait qu’elle était dans une période de sa vie où lorsqu’elle se promenait dans la nature, elle se sentait érotisée. Sa vitalité sexuelle, une qualité d’éveil, de présence au niveau des ses pores et de ses organes vibraient, ondulaient de manière délicieuse. Dans l’intimité d’elle-même et de Dieu, gratuitement, pour personne et pour tout le monde. Pour elle, profondément. Elle parlait de nourriture et de plénitude.

Une expérimentation consiste à inviter notre sexe à participer, à être présent dans tous les aspects de notre quotidien. Être sexuel tout le temps! Écouter la musique de son sexe. Travailler et entendre son patient par son sexe. Sexualiser, érotiser la relation. Désirer sans honte, allumer chaque cellule de son désir. Sans but et sans espoir. C’est-à-dire sans attente! Il y a deux ans, désirant apprendre cela, je me suis donné une expérience dont je me souviens joyeusement.

J’étais avec ma bien-aimée à un concert de musique classique où Barbara Hendrix chantait. Pendant une partie du concert, je me suis mis dans la sensation de mon sexe.

Simplement : c’est-à-dire, j’ai accueilli la sensation de la zone génitale, incluant mon pénis, mes testicules, mais aussi le scrotum jusqu’à l’anus, le bas-ventre et l’intérieur des cuisses. Ce que j’ai senti était secondaire. Au début, rien de très glorieux : la sensation de vide, de contact avec le tissu, de poids dans le bas-ventre, etc. Il est vrai qu’après un moment, étant présent et participant dans la zone, la sensation devint plus précise, voire plus  » facile  » à sentir, plus facile à aimer. J’aurais dit,  » il y a plus d’énergie là en bas, maintenant « .

A nouveau, ce n’était pas la nature de ce que je sentais qui m’importait, c’était de devenir présent, me couler dans ce lieu ami! Et c’était comme si je n’écoutais plus la musique, bien sûr. Mon mental ne pouvait plus analyser ce que j’écoutais, donc je ne  » savais  » plus la musique. Ce que je pus goûter, c’est que mon corps recevait la musique et en jouissait.

J’étais posé dans un monde qui avait la troisième dimension. Simplement. Rien d’extraordinaire, mais autre chose, qui faisait toute la différence. Autour de moi, rien n’avait changé, les smokings et les toussotements étaient toujours les mêmes.

Impressions :

En parlant de l’intérêt érotique comme première étape à différentes personnes et en écoutant leur réaction, il semble utile de nommer cette phase. Pour ceux qui ont travaillé sur eux-mêmes, dans le développement personnel ou en thérapie par exemple, pour ceux qui ont une perception sensitive d’eux-mêmes, la notion d’être plus que son mental, d’être identifié ou présent à autre chose qu’à ses pensées ou aux images qui trottent dans leur tête, est familière et acceptée.

Etre en contact avec son corps, avec son cœur, ses tripes, être dans ses couilles (ou ses ovaires ?) comme on dit ou, en particulier, dans son sexe, est une expérience que de nombreuses personnes ont faite. On parle également d’ » être dans son énergie  » par opposition à être dans sa tête. Il est clair que nous pouvons être présent à l’énergie, à la vitalité et à sa coloration particulière qui nous habitent.

Nous pouvons également accueillir, permettre, soutenir, réveiller, attiser en soufflant sur une énergie, une couleur qui fait partie de notre spectre de sensations et d’expression, comme c’est le cas de notre puissance érotique.

Par opposition, les personnes qui délaissent ou sont carrément absentes à leur sexualité sont nombreuses. Est-ce leur liberté, est-ce leur choix ? Ou est-ce un effet banal de l’ignorance et de la répression universelles et persistantes d’une sexualité vivante et saine ?

Nous sommes libres de choisir beaucoup de choses, mais avons-nous, humains, le choix de dire que notre corps n’a pas faim ou soif ou n’est pas fatigué ? Le corps a-t-il donc un besoin d’être sexuel ? Sans même entrer en matière sur le comment, le combien et le  » pour qui « , cela appartenant à chacun.

Etre sexuel, est-ce lié à un effort ? Ou est-ce humblement et avec amitié pour soi-même, avec un plaisir donné ou volé à notre routine et à notre stress ? S’agit-il de reconnaître cette sensation lorsqu’elle se présente, de jouer délibérément un peu avec elle, de la laisser monter de temps en temps ? Ou de descendre et de rejoindre occasionnellement la sensation et la radiance de cette partie de soi ?

La question suivante peut donc se poser à chaque adulte :  » Suis-je responsable de cette dimension dans mon corps et dans ma vie ? Puis-je décider, après l’avoir reconnue, comment je désire vivre avec elle, quelle place je peux lui donner, quelle connivence je veux développer avec elle, avec qui je la partage, et comment ?  »

Les hommes ont beaucoup à apprendre sur ce préalable : à oser sentir cette sexualité souvent généreuse, voire obsessionnelle dans laquelle ils sont, à apprendre à rester avec elle, à développer de la satisfaction d’être dans une bonne température, voire une température tropicale, à en jouir aussi dans le secret de leur cave, à ne pas se perdre dans la poursuite du soulagement, c’est-à-dire de l’évacuation de cette perception.

Elle n’est pas à résoudre, elle ne doit pas aboutir, elle est un état dans lequel ils peuvent vivre et rencontrer le monde, en particulier les femmes ou plus précisément leur femme. Les femmes ont aussi beaucoup à apprendre sur ce préalable : à ne pas fuir, éviter ou abandonner cette  » chose « , à ne pas laisser l’homme devenir celui qui porte et qui suscite et rappelle son existence, à le dissocier catégoriquement du rapport sexuel ou de la demande de l’homme.

S’il y a des blessures, il va leur être parfois difficile de s’en occuper et de ne pas couper, au nom d’une sale histoire, le lien qu’elles ont avec ce qui peut produire en elles la vie, peut-être la guérison. Ne pas se punir ou se blesser une deuxième fois ? Si c’est possible et si c’est le moment, avec le soutien nécessaire d’une psychothérapie par exemple, créer une relation avec sa sexualité, la sienne propre, pour soi ou pour la beauté, pour le plaisir ou pour le divin en elle, devenir la propre  » mère  » de sa sexualité comme de sa féminité.

La solution n’est pas que les femmes deviennent des nonnes ni des bombes sexuelles pour s’en sortir face au désir des hommes. Nous soutenons que les femmes ont à initier la planète à leur sexualité. Cette question doit rester ouverte. En écoutant les femmes parler, il y a autre chose.

Les hommes ont largement contribué à développer un modèle étroit de sexualité, avec un but et une raison qui apparaissent dans la sexologie moderne ou le porno. Il est temps que la planète se débouche les oreilles, il est temps que les femmes parlent, écrivent et communiquent.

En nommant cette première étape, peut-être pouvons-nous parler comme d’un préalable qui peut servir la santé et l’épanouissement de notre sexualité. Le mérite de développer ce préalable est que cela nous appartient en propre, et n’entre pas sur le terrain glissant, déroutant ou conflictuel et parfois blessant de la relation à deux.

2. Deuxième étape : le désir érotique ou sexuel

Cette deuxième étape est une actualisation de la première. Le désir se construit à partir d’un objet-sujet ; il est donc orienté. Il se vit de manière diverse. L’imaginaire, le souvenir et l’anticipation l’élaborent. Les impressions nourries par les cinq sens peuvent l’aider à se développer. Le désir est moteur, il nous pousse à nous rapprocher et à nous unir à l’autre. Il nous anime, nous agissons grâce à lui.

Ces moments où on laisse naître le désir érotique, ces états dans lesquels une intensité se réveille, font probablement partie de la magie de la vie et des relations. Être dans le désir, n’est-ce pas dire oui à la vie… en soi, oui à ce qui a besoin de s’épanouir, de se dilater, de s’étendre ?

Lorsque nous sommes en contact avec lui, nous pouvons déplacer des montagnes. Lorsque nous le perdons, notre vie peut devenir glauque, lourde, sérieuse et sans saveur. Cela est amusant, car pour les bouddhistes, le désir est à l’origine de toutes les souffrances! C’est probablement vrai aussi.

Que désirons-nous, au fond ? Désirons-nous l’autre ? Notre partenaire ? Désirons-nous la fusion amoureuse avec lui ? Désirons-nous le coït dans le fait de vouloir pénétrer ou d’être pénétré ? Désirons-nous le plaisir et le soulagement orgasmique ou éjaculatoire ? Désirons-nous un enfant ? Désirons-nous, d’ailleurs, l’autre ou désirons-nous ce que nous allons sentir en nous, alors que nous sommes en relation avec l’autre ? Est-ce le corps de l’autre, son sexe qui est si bon, ou est-ce ce que nous sentons dans notre corps, dans notre propre sexe qui est tellement bon au moment où les deux se rencontrent ? Au fond de notre bassin, que désirons-nous ? Si nous laissions parler notre sexe, il ou elle dirait quoi et désirerait quoi, qui et comment ?

Dans mes années d’étudiant, je suis allé avec un ami faire un tour aux États-Unis. On était des débutants aussi en amour. On logeait dans les campus pour dormir gratos. En Caroline du Nord, nous avons rencontré deux jeunes étudiantes qui désiraient nous héberger et plus. Nous avons donc passé la nuit dans la même chambre, deux par lit.

C’est là que j’ai découvert que mon désir était différent de celui de mon ami. J’entendais sa partenaire lui dire,  » attends, attends, pas trop vite et pas de pénétration encore…  » Mon ami rugissait doucement et lui disait  » non, non, je ne veux pas attendre, j’ai trop envie… « . Moi puceau, j’étais impressionné de caresser ma partenaire, cela m’excitait beaucoup et j’étais tout content et fier de vivre ce moment  » débridé « . Je me disais que le désir de mon ami était beaucoup plus fort que le mien, animal, brut et sans compromis. Un mec, quoi. Le mien était progressif, raffiné et comme débutant, je me disais que j’avais beaucoup de temps. Aujourd’hui, j’apprends à valoriser ces deux qualités.

Une connaissance racontait comment, avec un partenaire, elle découvrait cette approche méditative et assez extraordinaire : ils étaient couchés sur le lit, et se relaxaient ensemble, les corps proches. Après un moment, l’un disait à l’autre :  » Ah, je sens que ça monte, mon désir monte, je commence à le sentir…  » Dans le contact et la présence du non-faire, l’autre immanquablement ressentait aussi la montée du désir. Et cela les amenaient à vivre un rapport de grande qualité.

Mon premier rapport sexuel avec mon premier amour restera gravé dans ma mémoire pour sa qualité et les circonstances particulières. Nous étions les deux amoureux et pour notre première nuit ensemble, nous n’avions pas pensé à prendre de préservatifs et elle ne prenait pas la pilule. Donc, c’était interdit d’éjaculer et je l’ai vécu comme une tension heureuse, qui me fit durer et jouir du moment longtemps… Un booster du désir étant cette interdiction de me laisser aller à l’aboutissement.

Blandine et Vérenne sont deux femmes qui m’ont raconté que lorsqu’elles apprirent que leur mari fréquentait une amante, leur désir se réveilla aussitôt, réellement, et cela après des années de non-désir et de rejet sexuel! Un désir stratégique ?

Impressions :

Dans la plupart des histoires racontées par les gens, c’est l’autre, c’est Pamela ou Banderas qui réveille le désir. Et cela paraît d’autant plus vrai pour tous les hommes et les femmes en couple qui s’offrent la petite folie d’un amant ou d’une amante. Quelle différence dans le désir!  » Avec lui, c’était tellement facile, je tremblais de désir…  »  » Avec elle je sentais une telle énergie, je n’avais qu’une envie, c’était de monter la rejoindre et lui faire l’amour n’importe où.  » Lorsque nous sommes dans la phase de la projection amoureuse, il y a beaucoup de chance que le désir soit très fort, marqué, virulent, torride, insupportable! Ce n’est bien sûr pas toujours vrai. Mais l’industrie du cinéma bâtit une partie de sa fortune sur cette face de la réalité. Devons-nous dire que le désir fort est le meilleur ? Nous pouvons en découvrir de très variés et certains ont un dénouement parfois totalement différent de leur amorce. Reste encore en notre pouvoir de décider que tel désir est satisfaisant, insuffisant ou inadéquat.

Est-ce possible d’entrevoir que la source de notre désir est néanmoins en nous, que l’autre n’a pas ce pouvoir sur nous, si nous ne le lui donnons pas ?

A vous de vérifier : la source du désir est donc en vous, le déclencheur (de la source) est en l’autre ou à l’extérieur de nous. Cette proposition a le mérite de nous redonner notre souveraineté, et relativise l’impact de l’autre. Elle n’arrange malheureusement pas notre affaire lorsque nous sommes mécontents de notre partenaire. Dans ces cas-là, nous sommes conscients de tout ce qui est coupe-désir chez lui ou chez elle.

En acceptant cette proposition, nous pouvons expliquer pourquoi la nature du désir est si complexe, voire secrète et concerne principalement son auteur. De quoi est fait notre désir ? Le moteur du désir pour une femme pourra être de retrouver son partenaire après une dispute ou, pour un homme, de se rattraper de toutes les fois où il n’a pas pu faire l’amour avec sa partenaire! Une personne avouait que son désir était revenu après quelques années de néant et de rejet, lorsqu’elle avait appris que son conjoint la trompait!

Il est certain que parfois le désir est sexuel, génital, physique et lié au plaisir. Le désir est un mystère souvent et c’est bien mieux ainsi! En faire une analyse est possible, mais n’est-il pas plus intéressant de mieux le connaître, de l’alimenter, de le soutenir et de le célébrer ? Il peut même être assumé et communiqué.

Le désir du désir.

Dans une vie de devoir, il y a moins de place pour le plaisir et, bien évidemment, pour le désir.  » Je fais ce qui est à faire, je sais et je pense à tout ce que j’ai encore à faire, je dois le faire bien, jusqu’au bout ou avant ce soir ; si j’ai fait tout cela, alors, peut-être, je mériterai un moment pour moi, pour mon désir.  » Imaginez l’ambiance, la fatigue et la non-disponibilité!

Certaines personnes l’oublient ou l’abandonnent, en sont encombrées ou honteuses, ou encore ne le codent pas de manière positive, agréable ; il n’est pas important, utile, nécessaire.

D’autres aiment le désir, désirent ardemment ressentir le désir, cultivent et font la fête au désir. Ils ont une relation en vie ou même vivante,  » normale  » avec lui.

L’absence de désir. Est-ce que cela existe ? Sans doute. Mais souvent il y a non pas une absence de désir mais un manque de contact avec lui. Un manque de confiance dans les signaux d’une naissance du désir. Ainsi, certaines femmes qui voudraient ressentir plus de désir attendent malheureusement d’en sentir autant ou de la même manière que leur homme ou que Whitney Houston dans  » Bodyguard « . Peu d’espoir. En face d’un homme qui sait contenir et jouer de son propre désir (s’il n’en est pas l’esclave et l’exécutant empressé), la femme qui a assez de confiance et de temps (et qui n’est pas distraite pas le désir et l’attente de l’homme) pourra être en recherche et en découverte de son propre désir et de ses signaux corporels, en suivant son rythme.

Si elle est en rejet du désir ou de son partenaire, c’est une autre histoire, bien sûr.

Pouvons-nous approcher notre partenaire ou faire l’amour avec lui sans désir ? Oui, s’il y a consentement profond. Cela n’a rien à voir avec le fait de faire l’amour pour le plaisir de l’autre ou par devoir conjugal. C’est faire l’amour sans désir préalable, dans une grande fatigue et donc avec peu d’attente, sans but autre que de rejoindre son bien-aimé au mieux et se laisser surprendre pour découvrir un désir profond et un lâcher prise plus facile.

L’absence de désir, dépasser le besoin de sexualité, voire être au-dessus de ça, comme disent les Orientaux, laisser le sexe nous quitter… Dans une démarche spirituelle ou dans un vieillissement tranquille, il se peut que le désir sexuel devienne trivial ou même inexistant. Cela ressemble donc à une maturation. Il existe aussi le cas de personnes tellement investies, par exemple, dans des processus créatifs, que leur énergie est canalisée et présente dans leur activité. Nous pouvons imaginer que leur pénis ou leur vagin leur pardonnent volontiers d’être mis au chômage technique.

3. L’excitation sexuelle

Le désir érotique se traduit sur le plan physique par un état d’excitation et modifie ainsi notre physiologie. Et cela de manières diverses, enrichi qu’il est d’impressions variées, diffuses ou précises, subtiles ou intenses. Pour soutenir l’excitation et la développer, il y a tellement de comportements, de manières, de manies ou de créativité, qu’il n’est pas utile d’en décrire toutes les formes. A nous de les vivre et de les laisser vivre. Il n’y a pas de règle, pas de juste ni de faux. A priori, il y a ce qui marche et ce qui nous fait plaisir.

Le corps est saisi par des tensions émotionnelles et musculaires, en général agréables. Parfois douloureuses ou inconfortables. Chaque personne, avec son système de défense et sa carapace psycho-musculaire, a sa manière de supporter et de permettre l’intensité et la montée de cette excitation. Il est possible d’observer que certaines personnes se recroquevillent et intériorisent ces sensations ; elles peuvent même les rendre plus fortes et aiguës en leur laissant moins d’espace pour vibrer, ou les diminuer en se bloquant et en rigidifiant les membres ou le dos entre autres.

Par exemple, bloquer la mâchoire et même grincer des dents, faire de moins en moins de bruit et serrer les fesses, raidir la nuque, regarder vers le haut ou dans le lointain. D’autres s’ouvrent énergiquement, extériorisent leur sensations ; elles peuvent les laisser résonner dans un espace en eux plus vaste, ou même à travers eux dans une relative détente. Par exemple, laisser la voix et la respiration moduler et exprimer le plaisir, faire des mouvements amples ou lents, ou approcher ce paradoxe qui est de se relaxer dans l’excitation.

Par ailleurs, il existe ces cas de figure où il y a beaucoup de désir, une excitation intérieure très forte et pas d’érection, ni de lubrification. L’inverse est aussi vrai ; érection ou lubrification normale sans désir ni envie, sans réelle excitation psychique ni affective.

On constate habituellement que la tonicité et les mouvements corporels sont nécessaires pour porter le désir et la rencontre sexuelle dans l’excitation. Cela semble être très vrai pour beaucoup de personnes.

A l’inverse, dans le rapport sexuel dit  » plug in « , état méditatif où l’on essaie de ne pas bouger ou s’exciter, les deux partenaires réunis dans la pénétration des sexes se relaxent et entrent dans le non-faire, laissant leur organes génitaux s’épouser et créer leur propre alchimie. Ils leur font confiance pour créer la rencontre sans effort et sans exciter les corps. Ceux qui l’ont pratiqué reconnaissent avoir senti l’excitation des cellules, une certaine électricité avec des mouvements spontanés et autonomes d’une grande finesse, et néanmoins distincts. Par exemple elles ont senti leur vagin : palper, contracter, aspirer, masser, envelopper, danser ou … aimer le sexe de l’homme. Réciproquement, ils ont senti leur pénis débander, ramper, gigoter, chercher, recevoir, fondre ou… aimer le sexe de la femme.

L’excitation à l’ère de la pornographie est tellement isolée et consumée que nous pouvons observer un appauvrissement du désir qui la précède. Pourtant, les amants de la littérature classique et nos expériences de jeunesse nous enseignent que le fait de mettre des contraintes, de ralentir, de prendre du temps, de feindre amoureusement une interruption, de jouer, surfer et plonger sur les vagues de l’excitation, procurent son intensification, parfois même insoutenable!

A notre époque, il semble que l’excitation ne profite plus autant qu’avant du désir suscité par un manque ou par un jeu et une progression lente de l’éclosion du désir. Comme si nous ne supportions plus la tension du désir et que nous passions directement à une excitation franche, apparemment sans complexes. Mais quel vide et quel aplatissement, quel ennui, quel besoin de recommencer la même chose juste après ! Beaucoup de nouveaux romans érotiques ou de films témoignent de cette nouvelle tendance. Alors, certaines vidéos didactiques ou pornographiques vont promettre en termes d’excitation, du toujours plus fort, osé, crade ou bestial. Une course à l’extrême.

Il est clair que, pris dans cet engrenage pour monter à un sommet, il manque une fonction de l’excitation qui serait celle de descendre et de creuser plus profondément en nous, de venir toucher des zones de notre corps, de nos émotions et de notre être que nous avons de la peine à aller toucher sans notre partenaire. En description subjective, cela peut être de sentir le réveil et l’inclusion de la zone de l’utérus ou de la prostate, du bas ventre, du cœur. Ces moments où les pleurs, les rires ou un profond silence nous ravissent. Pour certains, cela s’apparente à un mouvement davantage implosif qu’explosif. Il peut s’accompagner d’une satisfaction profonde et durable.

4. La satisfaction

Ce dernier point me paraît le plus édifiant et confrontant. La satisfaction est indépendante et n’est pas subordonnée à une des étapes ci-dessus, ni même à l’expérience de l’orgasme ou de l’état orgasmique dont nous ne traitons pas ici. Il est difficile de s’en rendre compte, mais certaines personnes sont absolument satisfaites de vivre chaque étape décrite ci-avant. Il peut être très satisfaisant de vivre une ambiance sexuelle ou un désir sexuel sans aller plus loin. En interrogeant les gens, beaucoup ont déjà vécu cette expérience, même une seule fois. Mais nous n’en apprenons rien en général.

Nous savons que quelqu’un peut vivre, par un regard ou une caresse d’une personne bien-aimée, un état extatique. Les hommes peuvent faire l’expérience de ne pas s’intéresser à éjaculer et à éclater en un orgasme final, pour devenir présents et jouir de tout ce qui va se faire sentir avant ; cela peut être une révélation et une immense satisfaction.

L’inverse est aussi vrai, nous pouvons trouver très désagréable d’être dans un désir, par exemple, et très gênant de ne pas pouvoir le partager ou aller plus loin dans un rapport  » jusqu’au bout « . De même que quelqu’un peut vivre un orgasme, une éjaculation, et n’éprouver aucun plaisir, donc aucune satisfaction. Comme dans le quotidien, la satisfaction sexuelle, a priori, ne dépend pas du contenu de l’expérience, mais de ce que l’on en fait à l’intérieur de notre espace vivant : une fête ou un enfer. Nous sommes aussi libres et aussi responsables que cela!

Le soulagement sexuel est bien différent de la satisfaction sexuelle. On pourra même parler d’irritation sexuelle, qui peut nous amener à chercher une excitation temporaire et rapide dans le but d’un soulagement. Ce qui a été dit plus haut sur l’excès de recherche d’excitation au détriment de la montée du désir mène probablement à ce schéma de comportement où la sensation sexuelle est recherchée, paradoxalement, comme pour l’évacuer et s’en libérer. Et comme le besoin recommence, cela crée une course sans fin. Il existe de nos jours des groupes de  » Sexuels Anonymes  » qui travaillent sur la dépendance au sexe.

5. La différence entre femmes et hommes

Une femme aurait-elle écrit sur ce sujet ? Est-il important de regrouper les frustrations ou les revendications par genre ? Nous observons, dans nos consultations de couples, certaines questions ou problématiques provenant plus d’un sexe que de l’autre. Parmi les questions émanant du public lors de nos conférences, on retrouve chaque fois, de manière caricaturale, ce genre d’interrogation :  » Comment faire pour que ma femme ait plus envie de faire l’amour ?  » et :  » Si l’homme est plus facile à vivre le lendemain d’un rapport sexuel, faut-il pour autant simuler l’envie afin de protéger le calme familial et notamment les enfants?  » (sic!)

Est-ce que les hommes aiment plus le sexe et les femmes plus l’amour ? Les hommes se sont-ils mieux approprié leur sexualité, par la masturbation entre autres, et les femmes ont-elles à apprendre à se l’approprier ? Pouvons-nous vivre ensemble avec des désirs différents dans leur qualité et leur quantité ? Et en union exclusive ou en union libre, ouverte aux aventures ? Et avec la tristesse ou la frustration de ne pas  » partager  » ou vivre le même désir avec son ou sa partenaire ?

6. Conclusion

Nous souhaitons avoir soulevé et suscité des questions, quelles qu’elles soient, afin qu’elles puissent continuer de se poser, même si le vent du doute souffle fort et que le malaise soit inconfortable. Les pistes peuvent nous inspirer ; les réponses et les modèles peuvent nous enfermer. Nous avons très confiance en notre capacité à nous tous, hommes et femmes, de chercher et de trouver. Que votre désir de chercher vous caresse et vous excite.

7. Bibliographie

Desjardin Jean-Yves & claude Crépault (1978) – « La complémentarité érotique » Ed. Novacom, Ottawa

Richardson Diana (1999) – « The love keys » Element, Boston

De Stephen Vasey
Tiré du livre “De la nécessité d’aimer”, Édition Kairos Verlag © 2002. Recueil de différents auteurs. Allemand & Français

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