Chronique d’une misère ordinaire
ATTENTION !
Ce compte-rendu d’une dispute standard de couple risque de vous paraître insoutenable. Allez-vous supporter son suspense absurde ? Y-aura-t-il une issue ? Les deux partenaires se rejoindront-ils ? Ou cette affaire sans fin va-t-elle les conduire à une tragique rupture ?
Dans le sweet home – résumé (heureusement) :
Elle – Tu vois hier quand tu…
Lui – Mais c’est pas vrai, toi…
Elle – Tu rigoles…
Lui – Comment tu oses…
Elle – De toute façon…
Lui – Tu ne veux jamais…
Elle – Je suis pas ta mère…
Lui – T’es toujours…
Elle – J’estime quand même…
Lui – Non, pas question…
Elle – Pour une fois tu pourrais…
Lui – Ah parce que Madame pense qu’elle peut…
Elle – Et ben Monsieur peut aller se faire…
Lui – Calme toi chérie…
Elle – Non, jamais, tu vois, tu me…
Lui – Je suis fatigué…
Elle – Chaque fois c’est la même chose…
Lui – Je dois travailler demain…
Elle – Et moi, alors, je travaille pas ? Je rêve…
Lui – grumbl grombul grambool…
Elle – Hein, qu’est ce que tu dis ?
Lui – J’étouffe, j’ai besoin d’air…
Elle – J’en peux plus…
Lui – Chaque fois tu dis ça !
Elle – Alors tu n’as qu’à…
Lui – Toi aussi tu na ka…
Elle – C’est fou, tu ferais un effort et…
Lui – Tu arrêterais de… et tout serait…
Elle – J’en peux vraiment plus !
Lui – … (yeux au ciel)…
Elle – Ahhh, hiiii… (cris, pleurs)
Lui – Fais doucement, les voisins…
Elle – court vers la salle de bain et s’enferme…
Lui – saute sur son smartphone et vérifie… et revérifie… rien…
Et par épuisement Madame et Monsieur s’écroulent dans le lit (pas en même temps) et dorment une petite nuit tendue à l’hôtel des culs tournés.
Chez le psy trois jours plus tard :
Le psy – Je vois que vous avez la mine défaite, vous êtes tendus ? Vous voulez me dire ce qui se passe… ?
Elle – Alors justement… (5 à 6 minutes)
Lui – Pas du tout, elle a… (27 secondes)
Le psy – En fait vous n’êtes pas d’accord du tout ?
Elle – Oui, vraiment pas.
Lui – Oui.
Le psy – Ah, vous êtes d’accord ?
Elle – ?
Lui – ?
Le psy – Je veux dire, vous êtes d’accord que vous n’êtes pas d’accord ?
Elle – C’est malin…
Lui – Bof…
Le psy – Avec votre permission, j’aimerais vous proposer une autre manière de voir les choses.
En fait, savez-vous qu’il y a toujours deux versions dans un couple ? Il y a deux personnes, donc deux vécus, deux personnes qui cherchent à exister, surtout dans le regard de l’autre. Essayer de convaincre, d’argumenter, de vendre sa version en croyant qu’elle est la meilleure ou la seule valable, c’est… naïf. Le résultat n’est jamais satisfaisant, et il est lourd de conséquences. L’autre va tout faire pour défendre sa version et ne rien prendre de la nôtre.
Un couple qui va bien,
est un couple qui s’entend bien
La dispute, lorsqu’elle vire au rouge, est un échange intense, émotionnel. Nous nous rentrons dedans, nous nous cherchons, nous projetons en face notre propre problème, et cela pendant des heures.
Un drôle de sport ?!
Ce ne sont que des réactions, des défenses, des automatismes – donc des mécanismes inconscients, exprimant le pire de soi-même. En fait, nous partageons de la misère, nous nous érigeons en victime de l’autre.
Je suis incapable de donner une place à l’autre, et je ne prends pas la mienne.
En fait, ne pas être d’accord n’est pas un problème en soi. C’est ce que nous allons en faire qui prime.
Pouvons-nous imaginer de parler à notre partenaire sans vouloir le convertir, simplement pour qu’il entende notre version, notre vécu ? Et tenter de nous exposer un peu plus dans ce qui nous touche si fort, au lieu d’exposer et d’interpréter l’autre ? Ou pouvons-nous juste, plus souvent, demander ce dont nous avons besoin ?
Derrière chaque reproche, il y a un besoin en errance.
Elle – Allons bon, pour moi ça c’est nouveau. Je suis perdue…
Lui – On peut essayer, mais de toute façon elle…
Le psy – Oui, ce n’est pas facile, on doit l’apprendre. Moi qui suis un expert et un enseignant, j’apprends bien sûr encore. Mais la bonne nouvelle, c’est qu’à nos âges nous le pouvons. Vous savez, il y a quelques millions de couples qui essaient en ce moment d’apprendre à se parler autrement. La communication consciente, le partage, le « parler de soi » au lieu de parler de l’autre, la communication non violente. Toutes ces approches vont nous aider à sortir de la réaction émotionnelle et des reproches qui gâchent tous nos échanges. Qui nous séparent dramatiquement alors que nous cherchons – parfois désespérément, à nous connecter.
Elle – … ?
Lui – … ?
Le psy – Même si cela ne semble pas naturel, il s’agit de poser un cadre protecteur contraignant. Même si cela frustre terriblement notre partie enfantine (et névrotique), lorsque nous en avons assez des reproches, nous pouvons apprendre à mettre en place des échanges plus vrais, plus constructifs.
Elle – Pour les vacances, vous avez des lectures ?
Lui – Bonne idée, hey chérie, tu me raconteras… ?
Elle – Et si nous n’y arrivons pas, pour avancer plus vite, nous reviendrons après les fêtes !
Lui – mmouais…
Suite au prochain blog…
Dans le même sujet voir mes autres blogs :
« Ces deux pays constituent un creuset où leur histoire et leurs cultures respectives ont généré des crises qu’ils ont, il faut le dire, appris à fabriquer. Les négociations sous notre égide les ont amenés à négocier des points d’ententes qui ne résolvent pas le problème, mais c’est un statu quo où chacun peut se considérer gagnant. Il est essentiel que ces deux pays puissent continuer à « cohabiter » malgré leurs divergences portant sur des problèmes qui restent pour la plupart insolubles ».
Ce communiqué n’est pas émis depuis un cabinet de psychologie.
Le couple, un corset contraignant mais pas déplaisant où gérer des crises, et apprendre perdre ou gagner à contretemps pour que les problèmes prennent de plus raisonnables dimensions.
Le couple, un creuset pour apprendre à générer des crises et à négocier des ententes à double gagnant sur des problèmes pour la plupart insolubles.
Pour entrer dans les confidences des psys et des couples, j’oserai vous conter mon histoire passée, il y a des décennies de ça.
Après avoir vécu neuf ans avec une femme, contribué modestement à élever son enfant à ma place et comme elle ne désirait aucun projet, j’ai été voir si l’herbe était plus verte chez la voisine (enfin, bien plus loin que la propriété voisine).
Très peu de temps, mon idylle étant déjà finie après deux ou trois mois, mon ex-amie est venue me rechercher.
Nous avons recommencé notre histoire et très vite, sa condition était d’entreprendre une thérapie.
Comme je tenais à elle et aussi comme bon type (maintenant je l’enverrais au diable) j’ai accepté et on n’a pas fait une année.
Mais je l’ai accompagnée jusqu’à la fin (oui, elle a fini par mourir d’une embolie et de diverses complications), mais où je voulais en venir n’est pas que la thérapie aurait pu nous sauver (ou peut-être si?).
Non, la thérapie ne l’a jamais aidée à dépasser sa condition de fille d’un père très riche et moi, je ne suis qu’un bohémien, ce que l’influence de son père n’a jamais accepté 🙂
Merci Olivier pour cette touchante confidence, j’apprécie quand vous vous livrez de la sorte!
Tous les commentaires, hem-hem… Ceux que vous aimez lire sont parvenus ici en empruntant le corridor d’entrée entre les parterres de fleurs. Les autres suivent un chemin boueux où les ombres couchées des buissons se balancent sous la lampe de poche, ensuite tout est possible dans la clairière caillouteuse qui n’a rien du lieu où se sentir libre et en confiance. J’aimerai toujours lire les articles de Stephen, Thomas, ceux des jeunes filles qui partent à l’aventure et découvrent un monde qu’elles veulent heureux, où elles pleurent un peu avant de repartir ailleurs, et même les articles d’opinions en or de personnes âgées qui combattent pour protéger le château qui abrite tous leurs souvenirs. Si je n’avais pas ces articles quand je visite le Temps, soit je le quitterais, soit je resterais et deviendrais un sale type. Il est temps maintenant que j’aille boire un café noir à côté des bières qui brillent au bar, ce n’est pas un lieu lointain d’aventures, ni de fête, ni de bagarres. Que des gens fatigués comme moi qui quittent le samedi soir leur bunker pour aller prendre l’air en contrôlant combien il leur reste de cigarettes. Bonne fin de soirée ou début de nuit, Stephen, j’attends vos prochains articles comme des surprises que je me réjouis chaque fois d’ouvrir.
Merci bcp cher Dominic. Je suis touché et honoré.
Et j’aime votre style, votre liberté, votre poésie!
Merci pour ce commentaire 😉
Merci bcp Dominic, je vous lis comme un roman, je suis pris dans votre histoire et je voyage. Un jour, vous publierez un livre avec tous vos commentaires sur le Temps!
Je voudrais pouvoir effacer le mauvais dernier paragraphe de mon commentaire ci-dessus, pour dire en quelques lignes pourquoi j’ai aimé le dialogue du couple et son psy. Ce n’est pas l’histoire de rien, je l’ai enregistrée pour la mettre dans un dossier divisé en multiples sous-dossiers, et à l’extrémité cette histoire restera encore non localisable… En réalité elle est partout, et cela m’ennuie de devoir la mettre comme une valise dans un safe pour être capable de la retrouver.
Cette histoire n’est pas du tout insoutenable, j’aimerais la voir continuer, et espère que « Suite au prochain blog… » est une invitation sérieuse. Continuer où ? Ce n’est pas important, ce sera vers quelque part, et ensuite un autre couple qui ne sait pas où il va arrivera à votre cabinet, pour un dialogue que je voudrais sans fin. Toutes les autres histoires dites plus vivantes parce qu’elles ont un vrai début et un semblant de fin n’existeraient pas sans celles où il ne se passe pas grand-chose. Je comprends qu’en tant que psy vous espérez chaque fois qu’il y ait une issue, et quand un couple au terme d’une séance se sent mieux, et les fois suivantes encore mieux, le corridor vers la sortie doit paraître plus large. Mais ce corridor revient à sa dimension moyenne pour les patients suivants qui espèrent s’en sortir, pour vous aussi qui les accompagnez jusqu’à la porte pour leur serrer la main. Les histoires existent partout, dans une chambre, sur une place publique, au milieu du désert. Pour ne pas les perdre ou s’en souvenir, on les met quelque part, des fois un tout petit bout qui rappelle ce qu’il y avait d’heureux du tout. Mais dans tous les cas, l’histoire entière, celle qu’on vit, qu’on raconte ou dont on se souvient, dans quel contenant la mettre pour la garder longtemps et même encore après ? Peut-être que c’est en la jetant qu’un jour, pour la retrouver, on n’aura pas besoin de la chercher. Si le couple que vous nous avez présenté dans votre article ne revient plus, il me manquera un peu, mais je suis certain qu’il est impossible de le perdre.
Vous avez raison Dominic, l’histoire est sans fin. Quand on a la chance d’accompagner un couple, c’est pour un bout du chemin, et il y a toujours une suite. Vous ne serez peut-être pas étonné que je ne lis que très rarement des romans. J’en ai qui défilent tous les jours dans mon cabinet! Et à chaque semaine son feuilleton. J’aime mon travail! Et j’ai beaucoup de gratitude et de compassion pour ses couples qui viennent exposer les aléas de leur vie intime, qui osent arriver par le corridor étroit et mystérieux qui mène à la chambre de thérapie. Certains ressortent en remarquant les parterres de fleurs qui longent le corridor de sortie…
« Un couple qui va bien
est un couple qui s’entend bien »
« Un couple qui va bien
est un exemple en rien »
(Merci de ne pas rejeter trop vite cette déprimante maxime)
J’ai eu pour amis un couple qui s’ennuyait à deux, ils invitaient leurs amis pour « être tous ensemble ». Lui me disait à part : « Je voudrais qu’elle soit plus… » Et elle, à part aussi : « Il m’a choisie, et ce sont des autres femmes qu’il me parle ! » Mon sentiment ne découlait pas d’une analyse, il existait déjà en les voyants ne pas être d’accord puis rire quand je leur disais : « Vous vous chamaillez pour des petits riens, mais avec vous je me sens si bien, même quand vous me prenez à témoin pour savoir qui a raison ». Et c’était vrai que je me sentais bien, parce qu’ensuite ils se regardaient, sans dire un mot, mais je les entendais quand même : « On s’aime… » Ce n’était bien sûr pas moi qui leur soufflais cette pensée, et ils n’étaient pas le genre de couple soucieux de donner une bonne image et qui attend que les invités s’en aillent pour se parler. Exactement l’inverse, ils n’arrivaient pas à se parler quand ils étaient seuls. Ce qu’ils avaient peut-être en commun, c’était d’avoir chacun beaucoup de peine à vivre « sans quelqu’un ». Trente ans après les repas entre amis ils sont encore toujours ensemble, et me semblent être devenus bien plus conformes, en ce sens qu’ils ne se chamaillent plus pour des riens devant témoins, et je ne les vois plus se regarder en silence : « On s’aime… »
Comme l’exemple de rien, sans pluie ni beau temps, et il m’est arrivé d’avoir envie de déranger un peu cette paix qui me donnait l’impression d’avoir été invité dans un tombeau. Le récit de leurs dernières vacances où je voyais deux avions décoller, deux plages, deux hôtels, deux fois le soleil, deux fois la pluie, mais en me tournant pendant que nous étions à table je pouvais m’assurer qu’il y avait encore toujours une seule porte ouverte sur un seul jardin… « Vous vous souvenez ? Quand vous vous chamailliez pour une montagne qui se transformait subitement en petit gravier ? C’était chaque fois grave et chaque fois si vite oublié ! » Ils s’en souvenaient bien, et m’avaient répondu : « Il y a longtemps, tu te rends compte ? » Et j’ai cru entendre : « Nous nous aimions… »
Nous arrivions au dessert. Elle et lui :
« Oh la glace a fondu… »
— Ce n’est pas grave…
— Plus rien n’est grave…
— Mais pourquoi tu dis ça ?
— Parce que Dominic se souvient quand on se chamaillait pour tout !
— Tu as grandi…
— Moi j’ai grandi ! Et toi tu étais déjà grand ! Hahaha !
Moi : « J’aime vous voir comme ça… »
On a ri tous les trois.
(Merci pour les dialogues au cabinet que j’ai beaucoup aimé lire. Quand j’ouvre la porte de mes rêves et même ce qui est vrai, j’oublie tout très vite, mais me souviens juste après, au dernier moment avant que ce ne soit perdu !)