Lorsque nous disons oui et que nous nous lançons cœur et âme dans le projet de créer notre famille, il est très facile d’y glisser énormément de projections positives, d’espoirs et d’attentes de bonheur. Et ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants… A la fin de leur vie, beaucoup de parents reconnaissent: “ce que nous avons fait de plus important, ce sont nos enfants”. Mais ce bonheur n’inclut-il pas celui de vivre une histoire d’amour en esprit et en chaire avec notre partenaire? Il est rare d’entendre: “et ils vécurent heureux, eurent beaucoup d’enfants… et ils jouirent d’une sexualité très satisfaisante et épanouissante…”.
La question qui se pose pour un certain nombre de parents est la suivante: doit-on sacrifier la vie du couple au profit de la bonne survie de la famille? Sans doute un peu. Comme on entend souvent: “ la vie intime des parents en prend un sacré coup!”. On observe chez les (nouveaux) parents une telle envie de bien élever leurs enfants, un tel besoin de faire bien tout ce qu’il y a à faire, c’est tellement important et valorisant, c’est probablement souvent gratifiant, que les besoins du couple passent facilement au second plan. D’ailleurs ce système peut tenir longtemps. Il devient une habitude confortable et terrible. Puis vient un moment, où l’un des conjoints, plus au clair ou en souffrance sur son manque, va provoquer certaines questions.
Si le “sacrifice” du couple doit se faire (en tout cas en partie), pour cette noble cause qu’est la famille, est-il possible d’imaginer une attitude différente, occasionnelle, en faveur de l’amour et du plaisir du couple?
Est-ce que les parents peuvent changer de rôle, par moments et retrouver celui d’amant ou de partenaire sexuel?
Faut-il vraiment plus d’énergie et de temps encore (!) pour enfin prendre-trouver un moment?
Est-il vrai que certaines mères enceintes ou qui allaitent ont du désir sexuel et même du plaisir à le vivre? Est-ce normal?
Est-il vrai que certains hommes désirent rencontrer leur partenaire dans l’amour sexuel, non pas par habitude ou compulsion, mais par amour de leur femme, par amour de l’amour et du plaisir? Est-ce que normal?
Est-ce qu’un couple peut vivre et “tenir ensemble” sans sexualité? Pourquoi la sexualité semble plus importante pour les hommes que pour les femmes?
Se poser les questions ci-dessus méritent un temps de réflexion et nos réponses, quelles qu’elles soient.
Est-ce légitime de s’inquiéter de la vie du couple dans l’aventure de la famille? Quelles sont nos priorités? Les réponses à ces deux dernières questions seront primordiales pour chaque couple, comme point de départ à un désir de changement.
Une position radicale et aimablement provocatrice, déclare: “le couple passe avant la famille; à couple disfonctionnel – famille disfonctionnelle”.
Quelle est votre position? Dans votre couple, avez-vous des avis différents? En discutez-vous? Avez-vous dégagé un terrain d’entente sur un minimum possible? Avez-vous baisser les bras? Ou est-il intelligent de lâcher prise et accepter, accueillir l’imperfection, pour l’instant?
Si nous pouvons et désirons nous engager dans un changement, de quoi avons-nous vraiment besoin?
En tant que parents, nous devenons, en général, des experts en besoins liés à la survie: nourriture, couches et hygiène, vêtements, accompagnement affectif et émotionnel de nos enfants, soutien de leur processus scolaire, etc.
Mais quels sont les besoins de notre couple?
Mystère, flou, confusion peut-être, vulnérabilité, consternation ou révélation? Peut-être avons-nous besoin d’écoute, d’encouragement, de soutien, de pouvoir dire et parler, de manger au restaurant, de sortir quelque part, faire un petit voyage comme avant… Peut-être désirons-nous avoir un moment ensemble et ne rien faire, ou se tenir, se coucher habillé et se mélanger les pieds, échanger de la tendresse, être affectif et enveloppant, laisser naître une sensualité petite et lente, permettre aux corps d’être nus et proches, être sexuel sans pénétration, faire l’amour en se regardant dans les yeux pour rester présent ou vivre un moment torride sur le canapé du salon… De quoi avons-nous besoin, que désirons-nous? Pouvons-nous rester avec la question ouverte? Pouvons-nous désobéir à tout ce qu’il y a à faire pour décider d’être ensemble et voler un moment, créer une occasion, nourrir une partie de nous qui en a besoin?
A ce point, il est important de comprendre que le sentiment amoureux et le désir sexuel sont deux éléments dissociés chez toute personne saine. S’il est clair que certaines personnes ressentent du désir sexuel renforcé par leur sentiment amoureux, l’inverse est aussi vrai: certaines personnes ressentent un sentiment amoureux profond et aucun désir sexuel. Beaucoup de couples séparés reconnaissent que ce n’est pas par manque d’amour qu’ils ont décidés de se séparer, mais, parce que au niveau de leur relation à l’autre et en particulier au niveau du désir sexuel, il y avait un manque.
Si nous pouvons admettre ceci, nous pouvons accepter qu’il est important de développer une responsabilité sexuelle individuelle. Pouvons-nous exister dans nos couples, en tant que femme ou homme sexuels que nous sommes et que nous avons été? Avons-nous une curiosité, une disponibilité et une disposition sexuelles? Restons-nous en contact avec notre sexe, avec notre sensation sexuelle, avec notre identité sexuelle, hors contexte sexuel et génital avec son partenaire?
La réponse à ces différentes questions peuvent beaucoup nous aider. Elles sont un préalable nécessaire pour ensuite aborder la phase de transgression (des rôles de parents) et la phase d’expérimentation (des rôles d’amants) où nous aurons à user de notre créativité et de notre détermination.
Nous avons proposé des mots tels que “désobéir” ou “transgresser”. Ce n’est qu’un début de nettoyage du langage: il s’agit de réaliser que ce que nous pourrions entreprendre courageusement pour notre couple sera artificiel, décidé et volontaire. Le plus naturel étant de rester dans les habitudes confortables et insatisfaisantes. De décider de “voler” un instant pour la sensualité ou la sexualité du couple, va nous confronter, nous frotter à “rebrousse devoirs”.
En fait, c’est changer de monde: passer du monde du devoir à celui du plaisir. D’ailleurs, si nous osons, quelle meilleure leçon et exemple pouvons-nous donner à notre progéniture? Et quel coup de pouce à notre estime de soi.
Récapitulons: la première étape serait de décider:
“Suis-je responsable de (garder le contact avec) ma sexualité?” Reconnaissons-nous notre dimension sexuelle… simplement (soit dit en passant, c’est elle qui nous a permis de devenir parent). Sommes-nous la gardienne ou le gardien de notre sexualité? Il s’agit de décider, car il y a besoin d’un engagement clair envers soi-même pour rétablir le contact, s’il a été perdu ou diminué.
Deuxième étape:
“puis-je rester avec cette question (ouverte): j’ai besoin de quoi dans mon couple, je désire quoi dans ma sensualité et dans ma sexualité?”. Pour certaines personnes cela prendra du temps, les réponses seront parfois, au début, hésitantes, humbles, timides. Il est important de communiquer nos réponses à notre partenaire. Amener cette matière à la surface, qu’elle habite l’espace du couple et de leur communication, la rendre audible, visible et sensible.
Certains couples parlent d’un manque de naturel au début, comme si “ça leur ressemble pas (plus)”. D’où l’importance d’accueillir la sensation artificielle de cette réintégration, se permettre de réapprendre. Se rappeler aussi que cela sera réalisable peut-être, en partie ou imparfaitement. Oui; cela n’est pas grave et absolument naturel dans un tel processus de réhabilitation.
Si nous avons osé engager un peu de nous-même dans ces deux premières étapes; si nous avons pu prendre position et nous avons tenté de répondre à la question du besoin, du désir, alors il y a du sens à proposer une troisième étape:
Elle en découle naturellement: comment, par quel moyen, quoi faire?
Quelques exemples d’actions qui ont aidé des couples:
- – apprendre à bloquer du temps, prendre rendez-vous pour une heure ou une soirée (ou un week-end?) en le notant dans le même agenda que celui du boulot, rire des excuses que l’on trouvera juste avant et s’engager, y aller!
- – se donner un rendez-vous dans un endroit autre, qui ne rappelle pas le foyer familial.
- – créer un espace différent dans le salon ou la chambre à coucher, pour marquer la différence et soutenir une autre ambiance.
- – laisser un des deux partenaires préparer la soirée par exemple, l’un crée le “programme” ou donne la direction, la manière et le lieu, l’autre se laisse emmener et surprendre au plaisir de l’inattendu.
- – se laisser vivre de petites choses, de petits moments, des petits bouts de sensualité, des provocations sexuelles avec sensibilité et humour, ne pas vouloir aller jusqu’au bout, faire monter le désir…
- – adapter ou varier la sexualité. Lui permettre de prendre des formes, des séquences, des intensités, des durées variées. Imaginer, puis expérimenter des approches sexuelles qui sortent de la formule classique et masculine d’excitation (toucher les seins, lécher, puis pénétrer en visant l’orgasme).
Des approches plus féminines incluent la relaxation, n’ont pas de but et vont nulle part.
Les hommes, vous pouvez arrêter de ramer, vous êtes sur la plage…
Les femmes, peuvent, si elles se révèlent un peu de leur secret, initier les hommes à un autre rythme, une autre manière, aux détours et aux surprises de leur désir magnifiquement irrationnel et de leur qualité de contact, leur qualité relationnelle. Et les hommes d’apprendre à recevoir ou soutenir cette différence.
- – développer le réseau de soutien: pouvoir donner (lâcher!) les enfants aux grand-parents, amis et voisins…
- – dire bonjour et embrasser son partenaire avant les enfants.
- – accepter que les enfants réagissent (pour l’instant) aux moments de tendresse des parents. Les soutenir et les aimer dans leur droit à exprimer leur étonnement ou leur réticences. Et se donner de la tendresse, un peu, sans provocation.
- – Lire et relire en couple “Enfant roi, plus jamais ça !” de Christiane Olivier, (il existe d’autres titres sur le même sujet).
- – être capable de parler et d’expliquer aux petites têtes blondes que maman et papa s’aiment, aiment passer du temps ensemble aussi, que c’est grâce à cela qu’eux, les enfants, ont vu le jour d’ailleurs. Et que parfois, c’est bon d’être que les deux, en amoureux.
- – apprendre aux chérubins de frapper avant d’entrer dans la chambre des parents, de laisser ces derniers dormir un matin de temps en temps, alors qu’eux ont ce dont ils ont besoin déjà préparé dans la cuisine ou leur chambre de jeu.
Notre observation est que ce qui marche le mieux lorsque nous expérimentons du nouveau, est ce que nous faisons par jeu, par sport, avec un clin d’œil à soi ou à l’autre, avec un “hé, hé, hé, hé” de sorcière…
Parfois, cette petite transgression humble de notre routine débutera par un mot grossier et bienfaisant: “ et puis merde…allez, je me l’offre!”.
La quantité n’est pas nécessaire, les grands espoirs et les grands projets sont le fumier fertile qui nous conduira à plus de frustration ou de découragement. Beaucoup de ceux qui ont rêvé d’enfin prendre un week-end en amoureux, ne l’ont pas pris, ni ont été capable de s’octroyer cinq minutes dans la journée. Cela s’appelle “baisser la barre” et prendre à mesure, se donner pendant que l’on vit déjà autre chose, apprendre à traquer l’instant, à mettre du plaisir et du jeu dans nos activités quotidiennes.
Parler à d’autres couples vivant en famille. Cela sera réconfortant et stimulant d’entendre les hésitations et les couacs, mais aussi les idées, les combines, les solutions, les pistes trouvées par eux.
Les parents ont le droit de chercher le couple qu’ils sont. Ils le trouveront par accident et aussi par le désir qu’ils sauront attiser en eux. Chaque goutte de sensualité amoureuse et de plaisir qu’ils savoureront, rebondira de manière heureuse sur les enfants. Certainement.
de Stephen Vasey
tiré du livre « Elever son Enfant Autrement », La Plage Edition. (F) © 2003
0 commentaires