Aimer la colére

par | 21 Mar 2000

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Pour beaucoup d’entre nous, le mot colère est synonyme d’agressivité, de violence. C’est dommage, car nous ne discernons pas la qualité authentique de l’émotion colère du comportement inadéquat et destructeur qu’est la violence. C’est dommage aussi, car nous avons besoin de nos émotions.

Elles peuvent être au service de préserver notre intégrité, notre souveraineté. Nous avons beaucoup de jugements négatifs sur cette pauvre émotion. Nous ne l’aimons pas car elle nous dépasse, surgit lorsque nous l’attendons pas, elle nous expose dans notre partie “touchable”, “blessable”.

Elle nous fait aller trop loin, dire trop ou mal, elle nous rend violent et barbare. Elle brise notre rêve d’harmonie, de vivre en paix. Elle nous fait peur, elle peut tout casser, nous croyons qu’elle peut nous faire perdre l’autre. Nous en sommes les victimes.

Les émotions, et la colère en particulier, sont une réalité biologique. Les scientifiques observent six émotions universelles: la tristesse, la joie, la colère, la peur, le dégoût et la surprise. Nous observons également qu’une émotion mobilise la personne, lui indique quelle direction prendre, lui donne l’énergie pour y aller, semble être au service pour l’aider à retrouver un équilibre meilleur…

Mais, la colère, c’est quoi au juste? Si nous sommes d’accord de lui serrer la main, d’entrer en relation avec elle, d’en faire l’expérience de manière rigoureuse, qu’allons-nous sentir à l’intérieur de nous-même?

Nous pourrions sentir qu’elle est une “motion”, un mouvement ou une pression qui a une intensité certaine. Si nous pouvions l’accueillir et la sentir, lui permettre de faire sa place et d’exister, nous pourrions dire qu’elle chauffe, excite, qu’elle nous réveille, nous donne de la consistance ou de la densité, qu’elle nous met en contact avec notre corps et notre puissance.

Le coeur se met à battre plus vite, le sang afflue dans notre visage, la moiteur sur nos mains. Elle monte du ventre dans la gorge, dans les mains, elle vient des fesses et gonfle nos épaules, énergétise notre regard, elle est expansive, elle nous dilate, elle nous renfloue, nous redonne un espace vital, à l’intérieur dans un premier temps. Beaucoup de personnes sentent sa source au niveau du plexus solaire ou, plus bas, la région du ventre et du bas-ventre.

Qu’allons-nous observer au dehors de nous-mêmes? Extérieurement, elle peut nous faire prendre un ton de voix plus profond (relié au plexus ou au ventre), nous faire élever le volume de la voix (on dit, prendre une grosse voix), notre regard est pénétrant, montre une détermination, nos gestes sont plus toniques, nous bougeons de manière forte et multidirectionnelle…

Ce qui vient d’être décrit ci-dessus est une description approximative de la colère. Nous pouvons donner deux images qui illustrent le parcours sain de cette énergie: Celle d’un orage qui éclate, libérateur et centrifuge, “pour” soi et non-dirigé ou en opposition comme l’est l’agressivité.

Cet orage libère toute une lourdeur magnétique et après lui … la douceur. Ou l’image d’une femme (ou d’un homme) debout, présente, assertive.

Elle serait dans une expression maîtrisée de sa colère: audible dans le ton de sa voix, claire, intense, authentique et affirmative. Elle serait plus occupée à exprimer ce qu’elle ressent et ce dont elle a besoin que de blâmer ou décrire ce que l’autre a fait ou n’a pas fait!

Si nous croyons qu’elle est mauvaise (à cause de notre conditionnement en général), nous allons essayer de la contrôler, de la réprimer, de la nier, de la faire disparaître. Dès ce moment-là, elle n’est plus une émotion chaude, elle n’est plus consciente; elle se refroidit, se durcit, devient piquante, coupante, et prend des détours difficiles à reconnaître sur le moment.

C’est dans ces conditions qu’elle devient toxique pour soi et pour les autres, qu’elle peut nous surprendre, nous dépasser, venir alimenter une dispute. Nous l’avons reléguée dans notre inconscient et nous sommes encore moins apte à la maîtriser. Elle devient autodestruction, amertume, froideur, indifférence, sarcasmes, ironie, piques. C’est ce que nous connaissons le mieux dans nos familles, nos couples, dans les ambiances de travail.

Nos propos deviennent lourds de cette charge émotionnelle non résolue et non-assumée, ils deviennent blessants et compliquent nos relations, créent de la défense et de la séparation. Cette violence est donc collective, usuelle, admise, non-sanctionnée; elle peut provoquer facilement le débordement physique de la violence. Au cinéma, elle nous excite ou nous fait rire, car elle bien mise en valeur et nous sommes à l’abri.

C’est ce qu’on observe très souvent dans les conflits, dans la forme que prend la communication, par rapport au fond. Face à cette forme projective, agressive et destructive, “contre” l’autre, nous pourrions répondre “je n’arrive pas à entendre ce que tu me dis, tellement je dois me défendre ou que je suis blessé de la façon dont tu le dis”.

Dans tous les conflits, la difficulté est de faire une place pour les émotions et les sentiments, puis de manière claire pour les messages à passer. En général nous avons quelque chose à dire ou à faire entendre. Le problème, c’est que ces niveaux se mélangent, l’un est émotionnel donc irrationnel, l’autre est raisonnable donc appelle à entendre et à comprendre.

Lorsqu’une personne, grâce à son système neurovégétatif inconscient et automatique, se défend de ce qu’elle sent de violent dans les propos de son interlocuteur, elle ne peut véritablement recevoir et entendre ce qu’il dit.

Si les protagonistes avaient une notion de ce qui se passe dans leur monde émotionnel, ils pourraient leur donner une place, pas toute la place et, ensuite, passer leur message avec plus d’efficacité.

Si nous désirons devenir maître de notre colère, nous devons moins la contrôler, ne pas vouloir à tout prix la dominer, pour mieux la connaître et apprendre à composer avec, à pouvoir s’appuyer sur elle, la rendre utile, à la mettre au service de rétablir une relation.

Cela s’apprend par un déconditionnement d’attitudes héritées et anciennes, par l’expérimentation dans un cadre de sécurité, par l’apprivoisement en soi d’abord de cette énergie si intense, de la découverte de son aspect énergétique, ludique et relationnel ensuite. Il est clair que lorsque nous sommes plus en contact avec notre colère, celle des autres nous effraie moins, nous savons mieux comment l’accueillir ou y répondre.

En terme de responsabilité, il est utile de voir la source de la colère comme intérieure à soi et le déclencheur de la colère à l’extérieur, en général l’autre… Nous sommes donc responsable de notre colère, mais nous pouvons demander à notre interlocuteur d’arrêter de la déclencher ou d’aménager des conditions meilleures pour nous en protéger.

Par les pauvres modèles existants, nous sommes au défi d’apprendre nous-mêmes, puis à nos enfants, l’art de vivre honnêtement et de manière responsable notre colère. Mieux vivre et plus décharger la colère sous des formes saines est, à mon sens, une réponse à la violence, toutes formes de violences.

Que nous puissions réhabiliter et honorer cette émotion!

écrit par Stephen Vasey © mars 2000

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