Décidément, nous avons beaucoup de mal avec la colère. Le plus souvent nous la détestons car nous la voyons destructive envers soi ou envers les autres. Nous essayons de lui laisser le moins de place possible.
Existerait-il une colère saine? Une colère non agressive, libératrice et efficace?
Mme Favre rentre chez elle furieuse: un client l’a ridiculisée en public. Ouvrant la porte, elle reçoit sur sa robe le chien affamé. Elle fonce dans la cuisine et crie à son homme: “bon dieu, tu ne vois pas que le chien a faim? Donne-lui à manger!” Son homme, fatigué, appelle sa fille aînée et lui dit durement: “Cathy, donne à manger à Toby tout de suite!” Cathy tombe sur son petit frère. “Denis, c’est à ton tour de donner à manger au chien, vas-y!” Denis, en traînant les pieds se dirige vers Toby qui a la langue pendante. “Méchant chien, tu seras puni. Tu n’auras rien à manger!”
Dans cette histoire chacun décharge son agressivité sur l’autre. Mais pouvons-nous dire qu’ils sont en colère?
Par éducation, par impuissance nous refroidissons notre colère; elle devient glaciale, lourde, sèche, coupante, subtile ou sophistiquée; moins visible, certes, mais nous en ressentons douloureusement la violence. Elle se manifeste par l’autodestruction, l’ironie, les sarcasmes, les pointes, ou pire: le silence. Elle devient alors ce que nous rencontrons le plus couramment dans notre quotidien.
Nous l’exprimons donc de manière maladroite et inconsciente. Pouvons-nous faire la différence entre colère et agressivité? Ce discernement s’apprend-il?
La colère est une émotion. L’émotion est une “agitation passagère” (Larousse), un mouvement (P. Robert) dans notre corps. J’ajouterais, une intensité, une certaine vitalité en nous qui a besoin de circuler et pourquoi pas… d’exister. La recherche scientifique a observé que dans les états de colère et d’excitation sexuelle, il y a 14 changements physiologiques communs et seulement quatre différents! Pourrait-on parler de la colère comme d’un état orgasmique? Nous avons à l’esprit des scènes plutôt méditerranéennes, où les deux protagonistes se chauffent, explosent, puis se tapent sur l’épaule et vont boire un verre. Au Tibet nous pouvons admirer des représentations de l’aspect courroucé de la sagesse de tous les bouddhas; la colère devient divine!
L’émotion-colère est située généralement dans le plexus solaire ou dans le ventre… dans les tripes. Elle est provoquée par un manque de respect, une limite dépassée, un envahissement de notre territoire. C’est une énergie disponible que nous pouvons utiliser contre, c’est à dire agressivement, ou pour, en affirmation, pour tenter de rétablir une situation qui ne nous convient pas. Si nous affirmons et exprimons ce qui nous touche si fort ou ce dont nous avons besoin, nous nous exposons, ce qui nous rend vulnérable, (sans défense et sans attaque). Lorsque nous le sommes vraiment, l’entourage peut accepter notre émotion, même se laisser toucher. Nous pouvons donc nous ren-contrer dans la colère. Mais paradoxalement, nous avons difficilement la force d’être vulnérable. Il est alors plus facile de se défendre et de devenir dur, accusateur et agressif. Ce qui nous séparera douloureusement de l’autre.
Dans la bible, nous avons l’exemple de la colère de Jésus dans le temple qui n’est pas destructrice, dans le sens d’un besoin de faire mal aux marchands ou de se venger. Elle est au service de rétablir un espace sacré.
Par mon travail de gestalt-thérapeute et par ma recherche personnelle, je découvre et j’expérimente que ma colère peut être saine et utile. J’observe des participants qui arrivent avec l’interdit de se montrer en colère, pour ensuite découvrir une expression plus généreuse et affirmative de leur puissance. Ils réalisent ainsi l’ampleur de leur violence sourde ou indirecte. Étonnamment, ce travail est vécu comme joyeux, libérateur.
Je suis père d’une petite fille adorable qui a l’âge où elle apprend à dire non, à se mettre en colère. Il est clair d’ailleurs que c’est elle-même qui s’apprend, pas nous, ses parents. Face à cette émergence innocente mais sans tabou et sans peur, libre, totale, comment vais-je réagir? Pas facile! D’abord est-ce que je supporte? C’est à dire, puis-je reconnaître son besoin d’exprimer sa colère , la soutenir à être claire, authentique et en même temps lui poser une limite ou prendre la décision de parent qui m’incombe?
Comment expliquer cela à ses grands-parents qui l’aiment et qui la gardent aussi, eux qui ont eu une éducation comme la mienne, c’est à dire répressive et jugeante? Comment expliquer que la colère donne un sentiment de force, que notre fille en aura besoin pour poser ses limites, se protéger intelligemment des agressions possibles de ce monde? Que sa colère la rendra moins abusable psychiquement, émotionnellement, physiquement et sexuellement?
C’est décidé: nous célébrerons avec elle et en famille la colère!
Article No 2 écrit par S. Vasey paru dans Edelweiss Mag
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